Avril 2018
En décembre, le docteur Thomas Grégory a réalisé à l’hôpital Avicenne, à Bobigny, la première opération chirurgicale mondiale avec l’aide d’un casque de réalité augmentée. Une avancée qui fait de ce spécialiste en orthopédie de 40 ans un pionnier de la chirurgie adaptée à l’ère numérique.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette première mondiale que vous avez faite le 5 décembre dernier, dans le bloc opératoire de l’hôpital Avicenne ?
J'ai placé une prothèse de l'épaule chez une patiente de 80 ans en me servant de la réalité mixte, c'est-à-dire que je me suis aidé d'un casque de réalité augmentée qui me donnait des informations utiles pendant que j'effectuais cette opération délicate. L'épaule est l'articulation la plus difficile à remplacer car elle commande le bras, le membre du corps humain avec la plus grande amplitude. Si la prothèse n'est pas placée le plus précisément possible, le patient risque de perdre une partie de la motricité de son bras.
Quel type d’informations aviez-vous en plus que d’habitude grâce à ce casque ?
Je pouvais faire apparaître dans mon champ de vision l'imagerie médicale 3D de la patiente et la planification de l'opé- ration, avec les étapes d'intervention. J'ai pu aussi échanger en direct avec quatre autres spécialistes qui voyaient ce que je faisais en temps réel, un depuis Londres, un autre depuis Séoul et deux depuis les États-Unis. Toutes ces informations à disposition m'ont aidé à faire le meilleur choix du positionnement de la prothèse. Le casque est un véritable ordinateur avec une visière, deux caméras, de la mémoire, une autonomie de 8 heures, un accès à internet, une commande vocale et gestuelle et un laser qui scanne l'environnement afin que les hologrammes apparaissent sans obstacle.
Faut-il y voir l’avenir de la chirurgie ?
Sans aucun doute. Nous allons vers le « chirurgien augmenté ». Pour moi, c'est l'équivalent du passage de l'aviation de l'époque de Saint-Exupéry à celle d'aujourd'hui où un pilote s'aide d'une technologie de pointe pour faire décoller et atterrir l'avion. Le casque que j'ai utilisé est comme un cockpit grâce auquel je réduis les risques, augmente ma précision et sécurise le « vol chirurgical ». La chirurgie n'est d'ailleurs pas la seule à être concernée par de tels changements dans le monde médical.
Vous pensez à quels domaines ?
À tous ! La révolution numérique et l'intelligence artificielle sont en train de transformer la médecine. Pour qu'un médecin généraliste maintienne ses connaissances à jour, il devrait actuellement passer 450 heures par semaine à la lecture médicale. Demain, la télémédecine suffira pour diagnostiquer votre angine. Le big data aidera aussi à déterminer les traitements personnalisés avant que les pathologies n'apparaissent, en fonction de votre carte génétique et de l'usage que vous faites de votre corps. Il y a aussi le « patient augmenté », avec des organes déficients remplacés par des organes artificiels. Et enfin la simulation, utile à la formation.
La formation des chirurgiens est d’ailleurs un de vos objectifs…
Oui ! L'hôpital Avicenne est un hôpital public et universitaire. J'ai été recruté en 2016 à la tête du service orthopédie pour en faire un pôle d'excellence pour l'épaule, le coude et la main et j'ai une mission de recherche dans ce domaine et d’enseignement. Grâce au casque, l'opération est filmée et les étudiants peuvent la revoir précisément à travers les yeux du chirurgien, ce qui est très formateur. Et surtout, il y a la simulation, dont j'ai parlé. Nous sommes sur le point d'ouvrir à Avicenne un centre de simulation chirurgicale avec la réalité augmentée qui recréera les conditions réelles d'une opération comme par exemple la résistance d'un muscle sous un scalpel. L'expérience est l'apprentissage par l'erreur et, dans la mesure du possible, mieux vaut qu'un chirurgien en devenir apprenne en se trompant dans un simulateur sur un patient fictif plutôt qu'en activité sur un patient réel.
Et dans le cas spécifique de l’orthopédie, votre spécialité ?
Nous allons bientôt ouvrir un service universitaire d'urgence chirurgicale « SOS mains », qui n'existe pas dans le nord de Paris. Quant à l'orthopédie (tout ce qui touche aux os et aux muscles de nos bras et nos jambes, ndlr), c'est un domaine où il y a de plus en plus d'indications. Que ce soit à cause de la pratique sportive, en hausse, ou du vieillissement, vous passerez tous un jour entre les mains d'un chirurgien orthopédiste.